23 mars 2007

Un peu de politique, exceptionnellement

Un philosophe - libertaire de surcroît - se pique de donner une leçon de politique à l'un des candidats à la présidence de notre république. Je n'ai pas encore eu l'occasion de parler de Michel Onfray, fondateur de l'université populaire de Caen et philosophe de l'action, de l'hédonisme et d'un certain renouveau libertaire. Ce billet qu'il a rédigé pour son blog - hébergé pour une obscure raison par le Nouvel Obs - l'a mené à débattre furieusement avec un "petit" candidat dans un magazine pompeusement - ou carrément trompeusement - "Philosophie", me donne l'occasion d'en toucher un mot ici :




11 février 2007
Les habits de grand-mère Sarkozy
"Le mot «
démagogue » fait partie de l’arsenal des insultes au même titre que « fasciste
», « nazi », « stalinien » ou « bourgeois ». « Antisémite » fonctionne sur le
même registre, « populiste » également. Ces épithètes servent à stigmatiser un
adversaire pour éviter de dialoguer avec lui. Leur usage grippe la machine
démocratique et, pire, interdit qu’on utilise ensuite les mots pour signifier ce
qu’ils veulent vraiment dire. Qui voudrait en effet discuter avec un fasciste ?
Mais, une fois ce détournement sémantique utilisé, comment dire d’un fasciste
véritable qu’il l’est ? Quand les fascistes sont partout, de même les
antisémites, ils ne sont plus nulle part. La démonétisation du signifiant
pulvérise la possibilité d’un signifié. J’ai, pour ma part, eu droit à la
totalité de ces qualificatifs, les choses étant dûment écrites ou dites dans des
médias de grande diffusion…Arrêtons nous un instant sur le mot « démagogue ».
Les grecs l’inventent pour stigmatiser les orateurs qui se trouvent à la tête de
factions populaires. La démocratie athénienne n’était pas démocratique, mais
oligarchique, aristocratique : elle ne concerne en effet que les citoyens,
autrement dits, les sujets nés de citoyens. Les femmes, les métèques – étrangers
domicilés -, les barbares – les non grecs-, les esclaves n’en font pas partie,
de fait, cette démocratie ne concerne qu’une petite poignée de gens bien nés…
Dès lors, dans la bouche de ceux là, quiconque s’adresse au peuple, parle pour
lui, éventuellement même, lui parle, est un démagogue. Donc un ennemi.Platon,
aristocrate de haut rang, n’a pas besoin de travailler pour subvenir à ses
besoins, sa famille est riche. Les sophistes, quant à eux, proviennent le plus
souvent des couches populaires, ils doivent donc gagner leur vie. En faisant
payer leur technique verbale, leur savoir rhétorique, leur talent pédagogique,
ils se contentent de monnayer leur verbe pour acheter du pain et des olives. Et
puis, faute impardonnable, les sophistes enseignent à des gens de modeste
condition les ficelles utiles pour entraver ce prétendu système démocratique. La
haine de Platon pour les sophistes faussement transformés en démagogues est
avant tout la haine d’un aristocrate pour la plèbe qui se pique de
philosopher.Plus tard, en l’occurrence pendant la Révolution Française, le mot
glisse plus encore vers l’insulte : on appelle démagogue l’orateur qui parle au
peuple, certes, mais en flattant ses bas instincts – la colère, l’envie, la
rancœur, la haine, le ressentiment, la méchanceté. Les passions tristes de
Spinoza… Là encore, on retrouve l’opposition entre l’élite en passe d’accéder au
pouvoir, la bourgeoisie libérale, et les factions populaires, hébertistes,
Enragés, Curés Rouges et ceux que Patrick Kessel appela jadis dans un beau livre
Les gauchistes de 89. Mais en ce temps là, la démagogie n’est pas dans le seul
camp de ceux qui parlent au peuple, elle se trouve aussi aux côtés des
opportunistes que le pouvoir fascine et qui n’aspirent qu’à une chose, en
jouir.Voilà, me semble-t-il, l’acception moderne, sinon postmoderne, du
démagogue : il flatte le citoyen pour qu’il le conduise au pouvoir car une seule
chose l’intéresse, y parvenir et, une fois qu’il s’y trouve, s’y maintenir.
Vieilles leçons du Prince de Machiavel. Dans une société de médiatisation
généralisée, l’électeur disposant du pouvoir de faire ou de défaire un roi, le
démagogue s’adresse médiatiquement aux votants afin qu’il lui fasse la courte
échelle pour accéder au trône. Le démagogue est animé par une obsession
pathologique : jouir de la puissance donnée le pouvoir – il se moque bien de la
République, de la Nation, de l’intérêt général, du bien public, du Peuple, de la
France, et autres fétiches dont il se remplit la bouche en permanence et qui
saturent toutes ses prises de position.Le risque du suffrage universel qui pose
dans l’absolu l’équation un homme égale un vote est qu’on gagne moins à
s’adresser à la raison, à l’intelligence, au bon sens du citoyen, qu’à ses
fameuses passions tristes si vives à enflammer tant la misère morale et mentale
est grande. Peu importe, il faut choisir des inconvénients et, somme toute, le
suffrage universel vaut mieux qu’un cens, quel qu’il soit. Si la mesure de
l’intelligence politique est impensable, celle de la démagogie est possible.
Tout homme – ou femme bien sûr…- politique qui parle à rebours de ce qu’enseigne
son passé d’élu est un démagogue. Tout homme qui dit pour demain l’inverse de ce
qu’il a fait pendant une carrière en est un. Plus l’écart est grand entre son
action passée et ses paroles présente, plus c’est un maître en démagogie.
Démagogue en chef, par exemple, Jacques Chirac creusant la fameuse « fracture
sociale » pendant un quart de siècle d’action politique aux plus hauts sommets
et, après s’en être indigné, sollicitant les électeurs pour la combler ; Jacques
Chirac polluant pendant le même temps les nappes phréatiques avec ses décisions
en matière agricole et, après s’en être offusqué, affirmant la nécessité d’une
écologie qu’il incarnerait ; Jacques Chirac violant la République pendant des
décennies – des frais de bouche aux emplois fictifs , en passant par les marchés
truqués ou les faux électeurs- et s’en disant le garant comme chef de l’Etat. La
liste est longue, chacun le sait...Prétendant au remplacement et au titre,
Nicolas Sarkozy est en passe de décrocher la timbale. Car ce maire refusant la
construction de logements sociaux dans sa ville de Neuilly ; cet homme de parti
plusieurs fois traître à son camp ; cet encarté défendant une politique de
droite depuis son plus jeune âge ; cet allié des puissants fort avec les
faibles, faible avec les forts ; cet ami des patrons de presse qui demande et
obtient le licenciement d’ un directeur de journal qui expose sa vie privée en
dehors des clous fixés par le ministre habituellement iconophile ; ce vindicatif
fasciné par les nettoyages de banlieues au kärcher ; cet expéditif qui assimile
tout jeune des banlieues à de la racaille ; ce courtisan de Georges Bush auprès
duquel il tient des propos de féal de l’autre côté de l’Atlantique ; ce ministre
qui convoque place Beauvau le directeur d’une maison d’édition pour interdire un
livre à paraître sur son épouse volage ; cet homme, donc, n’existe pas, ou plus,
car il a changé… Ce Nicolas Sarkozy est mort. Enterré. Fini. Décédé. Terminé.
Disparu. Trépassé. Plus d’un quart de siècle d’une carrière politique s’envole
en fumée. Plus de traces. Pas de preuves. C’était hier. Aujourd’hui, plus rien
n’existe comme avant. Car il a changé sous le coup d’une souffrance : cet homme,
rendez-vous compte, a été trahi, abandonné, quitté par sa femme – dont il est
tombé amoureux le jour même où, maire qui officiait, il a décidé qu’elle ne
resterait pas longtemps l’épouse de Jacques Martin, le mari du jour. Avec ce
banal adultère des familles, Nicolas Sarkozy a appris la douleur, la peine, le
petit homme est devenu grand. Désormais, il peut être Chef de l’Etat.Donc cet
homme nouveau n’a plus rien à voir avec le méchant, le partisan, le sectaire, le
traître, le disciplinaire, l’autoritaire, le velléitaire, le réactionnaire, le
colérique, l’irascible, le nerveux, l’atrabilaire, le susceptible, l’arrogant,
l’ambitieux qu’enseignent trente années de pratique politicienne de Neuilly à
Beauvau . Et cette métamorphose, promis, juré, craché, n’a rien à voir avec le
désir d’obtenir les suffrages d’électeurs qui disposeraient encore d’ un peu de
mémoire et dont l’intelligence ou le bon sens auraient survécus au pilonnage
médiatique et hagiographique massif depuis des années de matraquage iconique.
Dès lors, l’homme nouveau, le Nicolas rédimé, le Sarkozy métamorphosé, le
candidat aux stigmates présidentiels fait sa déclaration de candidature là même
où Chirac avait fait la sienne – qui offrira un jour à cet homme le « que
sais-je ? » sur la psychanalyse ? « Le canard enchaîné » prouve dans son édition
suivante qu’il n’y avait pas plus de 25.000 personnes, la presse quasi unanime,
déjà aux ordres, annonce 100.000 , et ne publiera pas de rectificatif – là comme
ailleurs.Son porte plume Henri Guaino taille le costume nouveau : cet homme qui
soutient et met en œuvre depuis trente ans la politique libérale qui génère
chômage, misère, pauvreté, délocalisations, paupérisation cite Jaurès et de Blum
; ce maire qui refuse les bâtiments sociaux dans sa ville en appelle maintenant
au droit opposable au logement ; le copain des coquins patrons de presse qui
débarquent le directeur de « Paris Match » responsable de la publication de
l’icône de l’adultère uxoral se fend d’une lettre de soutien à « Charlie Hebdo »
embarqué dans un procès moyenâgeux au nom de la liberté de la presse ; le
quêteur d’onction américaine qui fait acte d’allégeance à Bush et se
désolidarise des positions françaises à la Maison Blanche se réclame désormais
du Général de Gaulle et de la Résistance ; ce pourfendeur des syndicats, de la
réduction du temps de travail, de l’abaissement de l’âge de la retraite, du
droit de grève célèbre la mémoire du communiste Guy Môcquet ; cet homme aux
rares neurones intellectuels, qui, pour toute caution culturelle, met en avant
Doc Gynéco, Christian Clavier, Johnny Hallyday – courtisan de tous les
présidents de la V° depuis qu’il paie des impôts-, cet être qui, hier, ricanait
et sortait son revolver dès qu’il entendait le nom de La princesse de Clèves,
cite aujourd’hui Voltaire, Victor Hugo , Emile Zola ; ce traître, ce cynique,
cet immoraliste, cet apostat multirécidiviste se paie même le culot d’en appeler
à la morale, aux valeurs, aux vertus ; cet aspirant nettoyeur de banlieues
convoque blacks et beurs sur les podiums de ses meetings ; cet habitué des
palais de la République, de l’or des logements de fonction , des lambris de
ministères, des voitures avec gyrophares, et escortes policières, débarque
devant les caméras en Renault de gamme moyenne pour monter à la tribune et
convoquer une fois encore Jaurès et Blum , mais à la Mutualité cette fois ci !Si
l’on veut désormais que les mots puissent encore signifier, alors recadrons les
choses et destinons lui celui de démagogue, de candidat de la démagogie, de roi
de la démagogie, de chef de la démagogie, de président de la démagogie. Trente
années de politique , de la mairie au ministère en passant par les instances
départementales et régionales, témoignent de la nature véritable de cet homme de
droite qui revêt aujourd’hui des habits de la gauche. C’est un loup déguisé dans
les vielles nippes d’une grand-mère. On connaît l’histoire… Je crains que les
habits nouveaux séduisent les amateurs d’histoire, de fable, de romans, de
films, de fictions. Le soir du deuxième tour, la grand-mère pourrait bien
apparaître à la fenêtre de l’Elysée, les habits du travestissement abandonnés à
même le sol , démaquillée, avec le visage qu’on lui connaît depuis trois
décennies : celui d’un prédateur. Ce soir là, il sera trop tard pour tous les
chaperons - rouges ou non…"

Je ne sais pas pourquoi mais je le trouve sympathique Michel O.

1 Comment:

Anonyme said...

Et bien quel triste résultat nous avons eu! Il y en a qui ont encore de la merde dans les yeux... qui ne veulent ou qui ne peuvent voir ce qu'il nous prépare. L'adn de deux petits chapardeurs qu'on cherche à enregistrer... "tu seras un criminel mon fils c'est dans tes gênes"... on montre des doigts les jeunes qui bloquent les universités Tolbiac en tête (bien que je ne soit pas d'accord avec ça, cela décrédibilise les mouvements estudiantins), les gardes à vues, les peines de prison ferme... bientôt on ne pourra plus manifester sans avoir à être accusé d'anti citoyenneté, d'anti démocratie... Déjà qu'on est photographié lors des manifestations notre adn sera bientôt fichés "terroristes en herbe"

 

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