07 décembre 2006

Du sionisme (fragments)

Le principe de la liberté de chaque peuple à disposer de lui-même n’implique pas l’obligation de disposer d’un état ni, encore moins, pour ce faire d’y déloger par quelque moyen que ce soit un autre qui serait présent sur ce territoire.

Avant de développer ce que je pense du sionisme, je précise quelques points de mon opinion afin que les choses soient plus claires quant à ma position.

Je suis moi-même d’origine juive à quelques générations près (vers la 5ème ou 6ème d’après l’arbre généalogique que j’ai commencé à cultiver). En effet, mon aïeule, vers 1870 a fui le territoire prussien de l’époque avec mon arrière-grand-père dans une hotte à raisin pour se réfugier en France et échapper aux persécutions antisémites. Elle a réussi à « franciser » notre patronyme et, depuis, personne de ma famille ne s’est reconnu dans la tradition juive. Ils se sont plutôt, même, réfugiés dans un catholicisme (assez rare en Moselle) plus ou moins pratiquant. Quant à moi, je ne me reconnais dans aucune religion particulière même si je n’arrive pas à me définir comme athée (qui est, en l’état de nos connaissances, une croyance en elle-même puisqu’il n’est pas plus démontré l’existence de dieu que sa non-existence) mais ma conviction intime me pousserait à penser que s’il existe une « entité » ou intelligence « supérieures » ou, plus simplement une organisation « raisonnée » de l’univers, elle ne peut se limiter à une expression aussi simpliste que « dieu(x) ». Peut-être n’est-ce que le hasard mais le hasard n’est-il qu’une succession de coïncidences sans lien entre elles ? C’est une question, un doute, qui n’a que peu d’intérêt ici.

Sur le plan de l’Etat, mon avis est aussi clair que limpide : j’hésite. D’un côté, de nombreuses sociétés ont fait la preuve que « l’animal politique » qu’est l’homme peut tout à fait vivre sans Etat (cf., en particulier, les travaux de Pierre Clastres sur les sociétés primitives – « La société contre l’Etat », par exemple – ou la révolution libertaire espagnole, la Commune de Paris, la communauté de Christiana au Danemark, etc., expériences qui se sont pratiquement toutes terminées dans un bain de sang provoqué par les forces conservatrices de l’époque et du lieu, mais d’un autre côté, je ne suis pas capable de démontrer l’inutilité de l’Etat lorsqu’il protège les plus faibles, qu’il assure la paix des citoyens et qu’il respecte la « démo-cratie », c’est-à-dire le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple. Ce qui fait de moi un bien piètre homme politique, ce que je ne suis pas, d’ailleurs, Dieu nous en préserve ! :-D En résumé, car je sens que je vous ennuie déjà, je ne suis pas un partisan forcené de l’étatisme qui a largement fait ses preuves en tant qu’instrument de coercition, répression, oppression envers ceux qu’il devrait protéger mais je n’ai pas de proposition sérieuse par quoi le remplacer.

Venons-en au sionisme. D’après l’article de wikipedia « sionisme » : « Sous la pression de l’antisémitisme européen et sous l’influence des idéologies nationalistes et d'indépendance nationale, une partie de la population juive européenne (surtout en Europe centrale et orientale, où l'intégration est difficile) transforme à la fin du XIXe siècle ce désir religieux en un projet politique : le sionisme. Les premières organisations (Amants de sion) apparaissent en 1881. L'Organisation Sioniste Mondiale est créée en 1897. »

Il apparaît ainsi clairement (de source relativement neutre) que le sionisme est un projet politique issu d’un désir religieux fondé sur une affirmation conventionnelle (i.e. accepté par « une partie de la population juive ») qu’il existe un peuple, qui se désigne comme « peuple juif », à qui Yahvé a promis la Terre d’Israël (Eretz Israël). On pourra toujours argumenter que la plupart des peuples de la Terre s’autoproclament, il n’en demeure pas moins que cette désignation n’est jamais qu’une affirmation jamais démontrée, puisque non démontrable dans sa globalité (qui peut affirmer sans aucun doute, aucun contre-exemple, qu’il appartient à la même culture, à la même histoire, aux mêmes rites sociétaux, etc. que quelqu’un d’autre ?). Pour en arriver à une « identification », une « intégration » à un peuple donné chaque individu qui le compose doit en passer par des critères tous plus subjectifs les uns que les autres : l’aspect physique, la langue (une autre convention sociale), l’endroit où il vit (et donc l’endroit où il ne vit pas : à l’étranger, ce qui suppose donc des frontières, là encore conventionnelles), etc. Ou bien, il doit se référer à sa nature « biologique », c’est-à-dire le droit du sang.

Dans le premier cas (celui des critères « subjectifs »), on voit, d’une part, la justification de tous les nationalismes (qui ne sont pas toujours nocifs et peuvent se révéler même libérateurs lorsqu’il s’agit de se débarrasser d’une oppression – impérialiste, par exemple, ou fasciste, etc.) et, d’autre part, la source du racisme (« je fais partie du même peuple que toi donc j’ai tel point fondamental en commun avec toi, donc, l’autre, qui ne fait pas partie de mon peuple, est différent de nous sur tel ou tel autre point fondamental, ce qui prouve bien qu’il existe des races qui ne sont pas égales entre elles puisqu’elles ne partagent pas certains traits fondamentaux qui font de nous ce que nous sommes.»)

Dans le second cas (celui du critère biologique), il est évident que si à l’origine (laquelle d’ailleurs ?) la lignée aurait pu être pure, très rapidement, l’exogamie (le fait d’aller chercher femme à l’extérieur de son groupe) a brouillé cette généalogie « parfaite ». Mais, le droit du sang qui en découle exclut, de fait, les autres qui ne sont pas de ce peuple et, ce, de telle manière qu’un « étranger » ne puisse jamais s’y intégrer. Le droit du sang pose d’emblée le principe d’un peuple « autonome » dans le sens qu’il ne puisse en principe se « mélanger » avec un autre. Il se constitue en « endogamie », c'est-à-dire que les mères sont toujours à l’intérieur du groupe. L’histoire nous montre en permanence que ce fonctionnement ne peut se perpétuer indéfiniment.

Ces deux hypothèses mènent en réalité à un autre concept : celui de la citoyenneté. Pour « faire » un peuple[1], il faut à un moment donné, un choix volontaire d’un groupe de se constituer en peuple. Il faut une (des) référence(s) commune(s), un ensemble de valeurs communes qui permettent la « création » d’une histoire commune. Ce peut être un leader charismatique, une guerre de libération, un « fait » religieux, un projet politique, etc.

Or, ce qui constitue le peuple juif (on devrait plutôt parler des peuples juifs), c’est la promesse faite par Dieu à ce peuple de retrouver la « Terre Sainte », Eretz Israël. Cette promesse ancienne (qui fait d’un groupe d’hommes et de femmes, le peuple « élu » et, donc, différent et supérieur) s’est peu à peu transformée en un projet politique : créer un Etat juif. La Shoah viendra renforcer d’une manière dramatique cette volonté. Toutefois, au fil du temps et du développement de cet Etat, on a pu assister à divers phénomènes discriminatoires. Les groupes de juifs venus du Maghreb ont longtemps (et encore aujourd’hui, peut-être) constitué les classes inférieures en Israël dont la plupart des postes de gouvernement et de pouvoir ont été confisqués par les premiers arrivés, ceux d’Europe, de l’Est, en particulier, fuyant les persécutions dont ils étaient les victimes. On peut citer aussi les conflits entre sépharades et ashkénazes à partir de 1950, etc.

C’est pourquoi, à mon sens, le sionisme est un racisme puisqu’il s’appuie sur un axiome religieux qui exclut, de fait, tous les autres humains (les « goys ») sur lequel est fondé l’Etat d’Israël.

Aujourd’hui, l’Etat d’Israël existe, il a sa place aux côtés des autres Etats souverains, il a certainement encore beaucoup à faire pour permettre aux habitants de cette région du monde de vivre en paix, selon leurs propres conceptions de la citoyenneté mais je n’accepte pas d’être traité d’antisémite parce que je critique la politique d’Israël et des Etats-Unis.

Les personnes et groupes qui se reconnaissent dans le peuple juif ont autant de droits et de devoirs que chacun d’entre nous, et la plupart de ceux que je connais ne voient pas dans le sionisme un projet politique respectable mais bien plutôt comme une survivance d’un ancien dogme religieux, au mieux comme une volonté de défendre l’état d’Israël contre les attaques incessantes auxquelles il a à faire face – souvent en riposte à ses multiples provocations (la dernière en date, le mur, étant suffisamment parlant à leurs yeux).

Pour être respecté, il faut être respectable.



wassy



[1] La plupart des développements qui suivent sont inspirés des travaux de Dominique Schnapper en particulier son ouvrage : LA COMMUNAUTE DES CITOYENS aux éditions Gallimard, coll nrf Essais, 1994.

9 Comments:

Anonyme said...

Ce post me parait très clair, très compréhensible !
Je partage l'ensemble de tes propos et c'est infiniment mieux dit que ce que j'aurais voulu pouvoir exprimer.
Chantal

Anonyme said...

C'est bien Wassy. On dirait du Tariq Ramadan.

Anonyme said...

allez Zou c'est reparti, pourquoi ne pas en faire un copié/collé chez Roland ?

Maria-Dolores said...

Il semblerait que Toutes choses ne soit pas l'endroit idéal pour ce genre de discussions mais vous êtes les bienvenus ici tous les 4.

Une question, Cyril : qui est tariq Ramadan, je veux dire que dit-il exactement sur ce genre de sujet?

Anonyme said...

tariq Ramadan est un islamiste avéré qui 'présente bien', a des réseaux bien implantés dans le monde journalistique et tient un discours 'adapté' au public auquel il est confronté (extrémiste où policé en fonction de son interlocuteur). Me semble bien qu'il est financé par les saoudiens.

Bref une ordure.

Maria-Dolores said...

Merci fabrice pour ces précisions mais alors en quoi l'article de wassy fait penser à lui, d'après Cyril?

Anonyme said...

Parce que, pour lui, dès qu'on exprime un désaccord, on est islamiste pur et dur... Tout est blanc ou noir. Aucune place pour le gris.

Anonyme said...

La réponse la plus amicale qu'on puisse faire à un ami ou un ancien ami est de reproduire une partie d'une lettre qu'a écrite un jour Martin Luther King. Je voudrais que lorsque tu penses à moi, tu penses aussi un peu à lui. Cela t'évitera peut-être de trop me haïr et te rendra compte je l'espère que tu persistes dans l'erreur.


Extraits des écrits du Dr Martin Luther King

"... Tu déclares, mon ami, que tu ne hais pas les Juifs, que tu es seulement antisioniste. A cela je dis, que la vérité sonne du sommet de la haute montagne, que ses échos résonnent dans les vallées vertes de la terre de Dieu : Quand des gens critiquent le sionisme, ils pensent Juifs, et ceci est la vérité même de Dieu.

" L'antisémitisme, la haine envers le peuple juif, a été et reste une tache sur l'âme de l'humanité. Nous sommes pleinement d'accord sur ce point. Alors sache aussi cela : antisioniste signifie de manière inhérente antisémite, et il en sera toujours ainsi.

Pourquoi en est-il ainsi? Tu sais que le Sionisme n'est rien moins que le rêve et l'idéal du peuple juif de retourner vivre sur sa propre terre. Le peuple juif, nous disent les Ecritures, vécut en union florissante sur la Terre Sainte, sa patrie. Ils en furent expulsés par le tyran de Rome, les mêmes Romains qui assassinèrent si cruellement Notre Seigneur. Chassé de sa patrie, sa nation en cendres, le peuple juif fut forcé d'errer sur le globe. Encore et encore, le peuple juif souffrit aux mains de chaque tyran qui vint à régner sur lui.

"Le peuple noir, sait, mon ami, ce que signifie souffrir les tourments de la tyrannie, sous un joug que l'on n'a pas choisi. Nos frères en Afrique ont supplié, plaidé, demandé, EXIGE la reconnaissance et la réalisation de leur droit naturel de vivre en paix sous leur propre souveraineté, dans leur propre pays.

Pour quiconque chérit ce droit inaliénable de toute l'humanité, il devrait être si facile de comprendre, de soutenir le droit du Peuple Juif à vivre sur l'antique Terre d'Israël. Tous les hommes de bonne volonté se réjouiront de la réalisation de la promesse de dieu, que son Peuple retourne dans la joie sur la terre qui lui a été volée. C'est cela le Sionisme, rien de plus, rien de moins.

Et qu'est l'antisionisme ? C'est le déni au peuple juif d'un droit fondamental que nous réclamons à juste titre pour le peuple d'Afrique et accordons librement à toutes les nations de la terre. C'est de la discrimination envers les Juifs, mon ami, parce qu'ils sont Juifs. En un mot, c'est de l'antisémitisme.

L'antisémite se réjouit de chaque occasion qui lui est donnée d'exprimer sa malveillance. L'époque a rendu impopulaire, à l'Ouest, de proclamer ouvertement sa haine des Juifs. Ceci étant le cas, l'antisémite doit à chaque fois inventer de nouvelles formes et de nouveaux forums pour son poison. Combien il doit se réjouir de la nouvelle mascarade! Il ne hait pas les Juifs, il est seulement antisioniste.

Mon ami, je ne t'accuse pas d'antisémitisme délibéré. Je sais que tu ressens, comme je le fais, un profond amour pour la vérité et la justice, et une révulsion envers le racisme, les préjugés, la discrimination. Mais je sais que tu as été trompé, comme d'autres l'ont été, en te faisant croire que tu pouvais être antisioniste tout en restant fidèle aux principes que nous partageons toi et moi du fond du coeur. Que mes paroles sonnent dans les profondeurs de ton âme : quand les gens critiquent le sionisme, ne te trompe pas, ils pensent les Juifs. "

Extrait de M.L. King Jr., "Letter to an Anti-Zionist Friend," - Saturday Review_XLVII (Aug. 1967), p. 76. Reprinted in M.L. King Jr., This I Believe: Selections from the Writings of Dr. Martin Luther King Jr.

Anonyme said...

Merci Cyril pour ce très beau texte. Toutefois, Martin Luther King était certainement un homme de grande qualité mais il lui est arrivé de dire parfois des inexactitudes.

En particulier dans cette lettre, je relèverais ceci :
"[...]le Sionisme n'est rien moins que le rêve et l'idéal du peuple juif de retourner vivre sur sa propre terre.[...]" Je ne peux qu'être pleinement d'accord sur ce point.

Mais : "Le peuple juif, nous disent les Ecritures, vécut en union florissante sur la Terre Sainte, sa patrie.", écrit-il. Premièrement "nous disent les Ecritures" est typiquement le point de vue d'un religieux qui tente de justifier un point de vue politique ("sa patrie") par une référence à un texte religieux donc sans validité à mes yeux (et il devrait en être de même pour toi qui te définit comme athée) sur ce plan (il n'en va pas de même sur le plan de la société, j'en conviens mais ce n'est pas son propos dans ce texte).

"Ils en furent expulsés par le tyran de Rome, les mêmes Romains qui assassinèrent si cruellement Notre Seigneur." Il confirme son point de vue religieux en s'assimilant aux chrétiens ce qui introduit en outre une inexactitude puisqu'il est clair aujourd'hui que si ce sont bien les Romains qui ont executé JC, c'est avec la complicité active des autorités religieuse juives de l'époque.

"Chassé de sa patrie, sa nation en cendres, le peuple juif fut forcé d'errer sur le globe." Chassé de son territoire, certes mais de quelle patrie parle-t-il? La patrie juive? C'est quoi? Existe-t-il une patrie chrétienne, bouddhiste... ? Cette confusion couramment entretenue devrait nous rappeler que les religions ont de tous temps fait collusion avec les appareils d'Etat et qu'elles sont toutes (à de rares exceptions) à vocation "politique" comme tu sembles le reprocher à la religion musulmane. Et, dans ce cas, comment peux-tu accepter une posture, que tu refuses aux musulmans (à juste titre), pour les juifs?

Et nous en arrivons toujours à la même conclusion : se reconnaître comme "juif" aujourd'hui, c'est accepter de s'assimiler à la religion juive et que celà ne justifie aucunement l'existence d'un Etat "juif". Israélien, bien sûr et dans ce cas il faut accepter les critiques adressées à l'Etat et au gouvernement d'Israël pour ce qu'elles sont : l'expression de la liberté d'expression et non pas pour de l'antisémitisme et qu'il convient, pour la dignité et la survie de cet Etat souverain de combattre le sionisme au même titre que le racisme!

Pour terminer, je tiens à te convaincre que je ne te hais point car, pour ma part, nos ne faisons qu'échanger des points de vue même s'ils sont parfois très éloignés.

 

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